J’ai lu beaucoup de choses ces derniers jours. Tant ont été dites et ressassées que je ne vais pas en rajouter une couche. Laissons les légitimes s’exprimer en toute légitimité : les plateaux, les antennes, les ondes, y’a de la place pour tout le monde. Lorsque j’étais plus jeune je voulais être journaliste. Mais depuis 4 ans je fais autre chose. Parce que je ne voulais pas être journaliste dans n’importe quel canard, je voulais travailler à Charlie Hebdo. Et j’y ai travaillé, de 2008 à 2011.
Lorsque j’en suis partie, je savais que je ne retrouverai dans aucun autre journal ce qui m’avait tant plu et fait rêver : l’art de la subversion par la déconne. On peut appeler ça aussi « liberté », d’expression ou tout court, humour ou transgression, peu importe. Je dis « art » parce que les copains du journal le portaient à un niveau paroxystique inégalé. Tous différents ils l’étaient, mais on a ses préférences, affinités obligent.
Je me souviens de la gentillesse d’Honoré. On allait souvent déjeuner après les « conf » qui se tenaient, à l’époque, le jeudi. Honoré était de tous les apéros. Comme j’étais fière le jour où il m’a offert une sérigraphie numérotée, un dessin de la Symphonie Animale, le bouquin qu’il a écrit avec Antonio Fischetti, un ami et journaliste de Charlie. « Pour te remercier de ta gentillesse, ma petite Isabelle » m’avait-il dit…
En parlant de gentillesse j’évoquerai celle de Jean Cabu. Cabu la première fois que je l’ai vu c’était à Récréa2. J’étais ultra fan et quand des années plus tard je l’ai aperçu autour de la table de rédaction du 44, Rue de Turbigo (siège du journal jusqu’en 2011), j’ai eu un gros fou rire : il avait toujours la même coupe de cheveux ! Cabu c’était un peu le papi gâteau de la rédaction : tous les lundis il nous apportait des cakes qu’il prenait soin d’acheter au marché BIO des Batignolles le samedi. Un jour il m’a ramené une brioche parce ce que je m’étais risquée à lui dire que le pain aux raisins c’était pas trop ma tasse de thé…
Bernard, Tonton…Si j’ai aimé l’éco alors que rien ne m’y disposait, c’est grâce à lui. Bernard, le nonchalant, Bernard le brillant, Bernard le lettré. Il écrivait tellement bien que vers la fin, je le concède, je lisais le journal en grande partie pour ses pages saumon, pied-de nez à celle du Figaro. J’ai en découpées plein que j’ai gardées précieusement. Ma préférée c’est évidemment celle où il raconte avec malice comment je lui suis tombée dessus en prenant la défense de Jacques Julliard, qu’il avait pris soin d’égratigner dans son papier de la semaine d’avant. A la fin de la chronique en question, tonton posait la question qui tue : « qu’est-ce qu’une politique économique de gauche » ?
Charb, Tignous, Wolinski…Des talents bien-sûr. Mais des déconneurs avant tout ! Des hommes de conviction prêts à tout pour défendre notre droit à se marrer, sans s’encombrer des fioritures de la bien-pensance, de la bienséance ou du politiquement correct. De quoi Charlie est-il le nom à présent ? De la liberté qu’on revendique ; de l’irrévérence et de la déconne qu’on envie. Achetons le journal, abonnons-nous y. 35000 personnes Place de la République c’est bien. Autant de nouveaux abonnés c’est mieux ! Pour que les copains, ces héros, ne soient pas morts en vain. Pour que l’on se souvienne toujours d’eux. D’ailleurs, pour que l’on se souvienne de Wolin, avec le sourire parce ce que c’est ce qu’il aurait voulu, je partage avec vous cette pépite…