Quelques considérations existentielles et circonstanciées sur Charlie, Todd et les autres

IMG_1585Des jupes ostentatoires, des migrants refoulés, des élèves fichés, des croyants choqués, des non-croyants atterrés, des athés ringardisés, un FN exalté et une immense lassitude face aux soubresauts existentiels qui rythment l’ère du temps: les sujets de société. S’évader ou s’interroger, telle est la question, quand soudain : « Et l’autre, la petite voisine, très mignonne, ben maintenant elle porte le voile … -Nooon ?! -Si, je te le dis, elle porte le chiffon…
-Tout de même, on a le droit de croire à ce qu’on veut mais de là à l’afficher dans l’espace public … »

Quelques considérations préalables sur les sociétés modernes laïques

Au risque de déplaire à nos amis les croyants, on ne peut faire, sur un sujet aussi sérieux que Sainte Laïcité, l’économie d’un petit prélude contextuel. Les sociétés modernes laïques ont progressivement émergé depuis la Renaissance. Elles reconnaissent des citoyens et en respectent les croyances. Celles-ci reposent par définition sur l’affect, l’intime, l’impalpable, l’intuition ou la foi et ne peuvent pas, en principe, prétendre dicter leurs conditions d’exercice à l’organisation sociale régie par les règles démocratiques du vivre-ensemble. Ce sont au contraire ces règles du vivre ensemble qui protègent les croyances et déterminent les conditions de l’exercice du culte.

Dans de telles sociétés, il est admis que tout le monde n’a pas besoin de Dieu et de la transcendance pour donner un sens à sa vie: certains ont un psy, d’autres des amis, d’autres des enfants. La modernité dans sa dimension spirituelle, c’est l’acceptation de la séparation de la croyance et du pouvoir temporel. Il n’est en principe pas possible à un groupe religieux constitué -sauf dans les fantasmes de Michel Houellebecq- d’intervenir dans le champ du politique. « Rendre à César ce qui est à César » est bien l’esprit de la loi de 1905 qui vise à assurer la séparation de l’organisation politico-sociale et du pouvoir spirituel, lequel reste libre de s’organiser, d’enseigner et de participer à la vie sociale.

Crée à l’origine pour contenir l’influence de l’Eglise catholique, la laïcité implique que l’on accepte d’être choqué dans sa conscience de croyant et, si on ne l’est pas, d’être choqué dans sa pratique d’incroyant.

Insulte et blasphème ne font pas un

Une fois écrémé le tout-venant des arguments choc des pros, des anti et des oui, mais Charlie, considérons les plus communément entendus. Caricaturer le prophète, reviendrait à dire à des millions de gens, des musulmans déjà victimes de la colonisation, du racisme idéologique et de l’exploitation économique, que leur Dieu est risible. S’ensuit l’inévitable, l’imparable et véridique formule visant à rappeler que l’« on avait besoin d’eux pour les besoins de la reconstruction d’après-guerre et pendant les Trente Glorieuses ». On les a « parqués dans des cités» et ces populations sont aujourd’hui les premières victimes du chômage, de la discrimination sociale et du racisme ambiant. Caricaturer leur Dieu ne va pas franchement dans le sens d’une ouverture au dialogue, mais dans celui d’un mépris général à l’égard de leurs croyances. Avec le risque que la stigmatisation mène à la radicalisation. La preuve, « Je suis Charlie» le cède dans les banlieues à «Je suis Booba» qui n’est autre qu’un mécanisme identitaire défensif. C’est là que le bât blesse.

La stigmatisation mène à la radicalisation.

Se moquer du Prophète en ces temps de crise économique et de racisme ambiant reviendrait à « mettre de l’huile sur le feu » avec le risque de susciter violence et fermeture dans le camp d’en face. C’est le point de vue du Pape François qui ne trouve rien de mieux que de comparer blasphème et insulte, histoire de mêler la bêtise à la confusion: si l’on dit un gros mot sur sa mère, il faut s’attendre à prendre un coup de poing.

Interroger, voire critiquer le pouvoir religieux et ses représentations, c’est la même chose qu’une insulte personnelle. Avec un argument pareil la révolution française ne se serait pas faite et les femmes ne voteraient pas.

A Charlie Hebdo, l’ont-ils bien cherché?

Provocation, stigmatisation, offense. C’est ce que certains brandissent pour expliquer, sans le justifier, la rancœur des uns et la violence autres. La laïcité ne serait qu’un prétexte pour enquiquiner des musulmans déjà lourdement stigmatisés. Un parangon raciste visant à «  piétiner Mahomet, personnage central d’un groupe faible et discriminé » nous dit Emmanuel Todd sur la manifestation du 11 janvier. Par un surprenant renversement de perspective, la stigmatisation vécue pendant les tristes épisodes de l’histoire évoqués précédemment (colonisation, racisme, fracture sociale) se confond avec celle ressentie par les croyants en voyant leur Dieu caricaturé.

Mais porter atteinte à l’intégrité d’une personne et porter atteinte à sa croyance, ce n’est pas la même chose. Si la parole raciste se défoule sur des personnes pour ce qu’elles sont en raison de leurs origines (noirs, arabes ou juifs), la critique des religions, qui voudraient se substituer aux lois démocratiques garantissant le vivre ensemble est, elle, salutaire. Les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo étaient critiques d’un Islam radical instrumentalisé par les terroristes et non des musulmans en tant que groupe de personnes. S’il était admis que la transgression et l’atteinte à la dignité de la personne humaine étaient dans l’œil de celui qui regarde, le mauvais goût n’aurait pas droit de cité. Si l’humour devait s’exercer selon des critères objectifs définis avec le souci de ne pas choquer telle ou telle frange de la population, il n’y aurait plus de place pour l’imprévu et pour la surprise dans lesquels le rire s’enracine.

Fini les nuances qu’autorise la civilisation et place au refoulé et à la radicalité de la nature. Retour au temps d’avant, celui où les femmes ne votaient pas et où le pouvoir institué par la force ne pouvait souffrir aucune critique ni remise en question. L’histoire et Freud l’ont montré: la société du culte n’est pas celle du savoir et le culte voué aux divinités spirituelles ou temporelles finit toujours par déboucher sur l’absolu, l’assassinat, le meurtre. Le savoir et la culture s’enracinent, au contraire, dans les nuances de la civilisation. Le passage à l’acte, à la tuerie, relève d’un acte criminel spécifique qui n’a rien à voir avec tel ou tel contexte économique ou social: le Danemark a été victime de la même violence lors des attentats de Copenhague, alors même qu’il est un pays où l’Etat-Providence est l’un des plus développé et protecteur d’Europe.

Bandante République

L’espoir, que Cavanna définissait comme l’aspiration à un supplément de bien-être, est légitime. Si certains choisissent de l’entretenir dans l’au-delà, c’est leur droit. Mais il est impossible de prétendre l’imposer ici-bas. Car l’espoir est comme le désir: l’exaucer ou le satisfaire c’est le supprimer. L’espoir se suffit à lui-même. Pourtant le corps social doit pouvoir palper de manière tangible les bénéfices des choix démocratiques qu’il a opérés. C’est le sens du pacte social.

« On a raté l’égalité donc on cède sur la laïcité et on ose plus dire les choses» nous dit Mehdi Ouraoui, ancien secrétaire national à la laïcité. Il a raison. C’est le sentiment de culpabilité dominant, lié à l’échec de nos politiques sociales, qui aboutit à vouloir ménager les susceptibilités des uns et des autres, et finalement à en oublier l’essentiel. Celui d’un horizon commun où les lois sociales ne sont pas réduites à l’état de vernis rhétorique mais, comme le dit vertement Malek Boutih, « font bander» les citoyens pour la République et invitent le plus grand nombre à se soustraire à l’arbitraire de la divinité.

Jouir de sa vie et de son existence ici et maintenant, chiche?

Une réflexion sur “Quelques considérations existentielles et circonstanciées sur Charlie, Todd et les autres

  1. Choses promises, choses dues!
    J’ai eu beaucoup de travail cet été et je répond enfin à cet article que ne m’avait pas trop fait « kifé »
    Je n’ai jamais été très bon en expression française mais je vais dire les choses comme je peux…
    La réalité est bien plus nuancée que ce que l’on peut lire dans cet article.
    La laïcité c’est la séparation de l’église et de l’État. Charlie hebdo n’est ni une institution ni un organisme d’état. C’était un journal satirique privé et tiré à très peu d’exemplaires, au bord de la faillite, qui s’en prenait systématiquement aux religions ou aux religieux. Il ne représente en rien la laïcité. Les caricatures de Mahomet ont choqué la plupart des musulmans mais il ne faut pas oublier que la majorité d’entre eux vivant en France qui se sont déclarés choqué par ces caricatures ne sont pas allé plus loin. Il n’y a pas eu de radicalisation. Ils ne sont pas les seuls à avoir été heurtés. Et même sans l’être, beaucoup de gens ont admis et compris que les musulmans pouvaient être choqués par de tels dessins. Ce qui est mon cas. Tout comme j’ai été également choqué par un dessin de Tignous représentant soeur Emmanuelle se réjouissant de pouvoir enfin sucer des queues au paradis. http://www.les-crises.fr/wp-content/uploads/2015/01/charlie-hebdo-14-01-2015-01.jpg . Un dessin absolument pas drôle ou le dessinateur mélange les mots « sucer , queues, paradis » avec l’image d’une vieille femme religieuse très respectée par les croyants mais aussi par les non croyants. Même s’il s’appuyait sur les écrits de la religieuse elle même, il savait très bien que la plupart des gens n’avait pas lu son livre. Personne ne lui interdit de faire ce dessin, et c’est très bien ainsi. Mais qu’on ne porte pas ce genre de travail comme le garant de la laïcité ou de la liberté d’expression. Leurs manque de talent et d’inspiration est à l’origine de ces publications qui ne cherchaient qu’à déranger. On a le droit d’être un gros con, mais en général les gros cons n’ont pas de tribune pour s’exprimer… Ceux là disposaient d’un journal tiré à seulement 30 000 exemplaires… Il était vital de faire du buzz pour le maintenir à ce tirage. Sans caricature, il aurait disparu depuis longtemps dans l’indifférence général et Wolinski, Cabu qui n’avaient jamais caricaturé Mahomet, seraient encore parmi nous.
    Depuis les événements du 7 janvier on demande aux musulmans, soit d’être Charlie, soit de se désolidariser des terroristes avec qui ils n’ont absolument rien à voir si ce n’est une religion en commun. Mêler de prêts ou de loin la population musulmane française à ces événements est bien plus dangereux que les pires propos tenus par le Front National. Je suis Booba ou d’autres citations du même genres n’ont pas été prononcé que par des jeunes de banlieue et il est intéressant de voir que dans l’article on ne parle que d’eux. Pourquoi?
    Les dessinateurs de Charlie hebdo ont toujours dit que leur dessins visaient à dénoncer l’intégrisme et non pas l’islam en tant que tel. Pourquoi dans ce cas, demander aux musulmans français de se démarquer ? Les dessinateurs savaient qu’ils s’attaquaient à des gens qui disposent de moyens importants pour influencer des jeunes gens sans repères, habitant dans des quartiers où la misère est partout. Ils savaient que ces intégristes étaient prêt à tout pour les faire taire. Pourquoi se sachant menacés, ont ils continué à caricaturer le prophète prenant le risque de se mettre les musulmans de France à dos, alors que le but était de provoquer seulement les intégristes qui n’en demandaient pas tant pour avoir une excuse de s’en prendre à la France?
    Il y a le sacré que les laïques intégristes s’estiment en droit de bafouer et il y a le sacré « je suis Charlie » qui quant à lui est intouchable. Il y a du sacré à géométrie variable, tout comme il y a de la liberté d’expression à géométrie variable. Il y a des intégristes religieux certe, mais il y a aussi des intégristes laïques athées. Ces derniers cherchent à leur manière à imposer leurs modes de pensée alors qu’il ne constitue qu’une minorité. On peut être non croyant et respecter le sacré des croyants. On peut vivre ensemble dans l’harmonie et le respect. Nos différences sont des chances. Et ce n’est pas parce que quelques jeunes de quartiers ont commis des actes terribles que tous les autres sont aussi de potentiels terroriste. Ce n’est pas parce que des milliers de gens sont descendus dans les rues à Paris en criant « je suis Charlie » que la France entière se reconnaît dans ce slogan. « Je ne suis pas Charlie » ne veut pas dire « bien fait pour leur gueule » ou « ils ont bien cherché ». Il y a bien sûr des gens qui ont prononcé cette phrase terrible. Mais nous n’en aurions jamais eu connaissance si des journalistes pervers mal intentionnés n’avaient pas relaté ces propos marginaux dans le but, une fois de plus, de stigmatiser ces jeunes issus de quartiers. Aujourd’hui, on ne peut pas se permettre d’estimer que nos écris, nos mots, nos postures sont sans signification.
    Je regrette l’existence de cette phrase « je suis Charlie ». Elle est un pur produit marketing derrière lequel tout le monde est censé se reconnaître. C’est en quelque sorte la seule façon d’afficher sa solidarité et sa peine. Mais c’est là que je ressens un malaise. Pourquoi avoir besoin d’afficher quoi que ce soit? Ne peut-on pas vivre ces terribles événements de façon personnelle, intime sans avoir besoin de placarder une phrase devenue un logo? Je ne critique absolument pas les gens qui se reconnaissent dans « je suis Charlie ». Je pense qu’ils sont les premières victimes d’un mouvement massif de pensée unique. Le bouleversement intérieur engendré par la violence des événements, leur a fait perdre, pendant quelques temps le recul nécessaire pour analyser la situation. J’ai été tenté d’être Charlie. Sous le choc, par colère, par tristesse, par solidarité mais surtout pour me sentir proche des autres autour d’une idée commune. C’était tentant. Seulement je n’ai pas réussi à oublier que « Charlie hebdo » ne représentait rien, que ce journal avait risqué la vie de plusieurs personnes (garde du corps, policiers, collaborateurs, proches) pour avoir le droit de continuer à faire de la merde (c’est mon avis) au nom de la liberté d’expression, et surtout, que ce journal avait blessé certains de mes amis musulmans qui sont loins d’être des intégristes. En devenant Charlie, je me serais éloigné d’eux. La majorité des français ne sont pas Charlie. La majorité des français n’ont pas défilés derrière des dictateurs. Le problème c’est qu’aucun médias ne parle d’eux, sauf pour les stigmatiser. C’est désolant! . Sans ce « je suis Charlie » on aurait pu assister aux scènes qui se sont déroulées dans les rues d’Oslo après les événements de juillet 2011 ou les gens de toutes origines se prenaient dans les bras. Pas de slogans stupide excluant d’office toute une partie de la population. Et comme l’a dis le prince Haakon dans son discours « aujourd’hui, je vous le dis, nos rues sont pleines d’amour ». Les rues de Paris elles aussi auraient pu être pleine d’amour. Malheureusement elles étaient pleines de confusion, d’incompréhension. Combien de gens ont soulignés la présence de trop peu de musulmans… « Vous avez vu madame? Il y a presque pas de musulmans dans le défilé… » « Si si, je crois que j’en ai vu un, enfin, il en avait l’air… »
    Encore une fois la France passe à côté d’une d’une possible réconciliation nationale. Tout ça a cause de ce foutu « je suis Charlie ». Ce journal était un instrument de destruction de la cohésion nationale bien avant les événements. Philippe Val, Caroline Fourest, Luz, Charb, qui sont vraiment ces gens ? Je refuse de croire qu’ils sont ou étaient de simples dessinateurs ou collaborateurs à Charlie Hebdo. Ils ont collaboré à la stigmatisation d’une partie de la population et à dresser les français les uns contre les autres. Leurs morts prouvent à la France entière qu’on a enfin des raisons de se méfier des musulmans de France. Wolinski dessinait des culs et des bites, Cabu nous faisait marrer chez Dorothée le mercredi… Pourquoi sont ils morts? Aujourd’hui des milliers de français vont devoir continuer à porter le nom de ‘coulibaly… Qui se met à leur place? Avons nous vu un média aller à la rencontre de ces gens pour tenter de stopper la stigmatisation? Non. au contraire, on condamne à 30 000 euros d’amende un homme qui déclare  » je me sens Charlie, Coulibaly » car il est humoriste subissant des menaces comme les gars de Charlie et en même temps d’origine africaine ayant grandis en banlieue parisienne comme Coulibaly… Mais, Ouhlala! c’a y est, je dépasse les bornes de la liberté d’expression, je cite Dieudonné sans le diaboliser !
    On est en train d’assister à une fracture irréversible entre nos communautés, et ce, sans l’aide de marine Le Pen… Trop fort ! Elle a un boulevard devant elle maintenant. Merci « je suis Charlie »!
    Une dernier petit commentaire: arrêtons de croire que sans notre sacro sainte révolution rien aurait eu lieu en France. On me bassine avec ça depuis que je suis gamin! Je vais encore prendre la Norvège (que je commence à mieux connaître que la France) en exemple. C’est encore une monarchie, il n’y a pas eu de révolution, les femmes ont eu le droit de vote en 1913 et la séparation de l’église et de l’état n’a eu lieu qu’en 2012. Résultat: c’est un modèle de démocratie, de tolérance, et d’ouverture d’esprit.

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