Chroniques administratives. Vol.1: les malheurs de Pépère

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La Maison qui rend fou

Allez bosser ou rester chez soi lorsque le Un-RER-sur-trois maintenu en cette journée de grève est finalement annoncé avec 40 min de retard ? Telle est la question qui taraude Pépère (dont le nom a été volontairement changé pour garantir son anonymat) en cette matinée pluvieuse du mois de juin. C’est alors qu’il songe à l’efficacité redoutable de ce qui fait la singularité de sa douce France : l’Administration.

L’administration, Pépère la connait, il y travaille. Il en connait les rouages et le verbiage. Sorti d’une bonne école, Pépère se veut instruit. Ça ne lui plait pas, mais il incarne la classe moyenne à 2000 euros nets par mois et sécurité de l’emploi à vie. Le mois dernier Pépère a cherché un appartement. Habitant en « zone tendue », il lui fallait se positionner rapidement pour avoir une chance d’être éligible à l’une des rares pépites de 30 mètres carrés à 900 euros le mois encore vacantes. C’est donc par mail qu’il a envoyé la tripotée de documents nécessaires à la constitution de son dossier. Il n’a pas lésiné: RIB, pièce d’identité, fiches de paie, avis d’imposition, tout y est passé. Mais de fausses annonces en petites arnaques, Pépère dépité a finalement remis ses recherches à plus tard.

Il y a quelques jours, inquiet de ne pas recevoir de courrier depuis presque un mois, Pépère se rend dans un guichet de poste. Réorienté d’office vers « le service client internet » comme le veut la procédure, il réexplique son cas. Après enquête interne des services de cette grande entreprise autrefois publique, il apparait qu’une personne s’est rendue dans un guichet muni de sa pièce d’identité avec une procuration signée de sa main et qu’elle a demandé la réexpédition de son courrier vers une autre adresse. Fort de cette information, Pépère se rend au commissariat pour déposer une plainte au motif d’usurpation d’identité. Mais voilà qu’au commissariat on lui intime de fournir un écrit de la Poste attestant la genèse et la vérité de ses propos. Ce préalable l’est à l’ouverture d’un dossier de plainte. De bonne volonté mais légèrement dubitatif, Pépère se rapproche à nouveau de la Poste. La Poste est formelle : elle ne fournira les preuves qu’à la demande de la police. Laquelle, si l’on s’en souvient, a besoin du papier de la Poste pour lancer l’enquête.

Se sentant impuissant, Pépère, resté calme jusqu’ici, s’emporte, se rebelle, s’époumone. Il en appelle à la responsabilité du service public, à la solidarité entre ses agents. Il évoque le défaut de compétence, menace de saisir le tribunal administratif et use du jargon adequat en pareille circonstance. Vainement. Usager de bonne foi et citoyen sans vague, Pépère repense avec tendresse aux Douze Travaux d’Astérix, aux rires et à la compassion qu’il éprouvait devant la difficulté d’Astérix à se procurer le formulaire A-38 dans la maison qui rend fou. Il revit la terreur et le sentiment d’impuissance qui l’avaient saisi à la lecture du Château. Il se souvient avec tristesse de la longue file d’attente, vendredi dernier, devant la CAF de l’avenue Max Dormoy. Il se remémore le dégout qui l’a envahi il y a quelques années, lorsqu’il avait été radié sans sommation de Pôle Emploi après un RDV auquel il n’avait pu se rendre. Alors, plein de ces réminiscences douloureuses, il préfère en revenir à des questions d’ordre pragmatique. Il attendra finalement son RER 40 min et ira travailler. 2017 c’est loin.

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