Attentats ou baklavas, Istanbul mon amour!

« Istanbul ? Pourquoi pas Bagdad ou Kaboul y‘a des prix en ce moment » ! Malgré quelques boutades finaudes susceptibles de faire douter le voyageur intrépide, heureux celui qui pourra séjourner dans l’ancienne Byzance.

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En partant j’avais quand même un doute : pètera, pètera pas ?

Les attentats de décembre et de début janvier, le coup d’État manqué de juillet, les tensions avec les Kurdes, les Gülenistes, les intellectuels, les profs, les fonctionnaires et, de façon générale, la traque aux opposants ou assimilés, avaient atténué mon enthousiasme à l’idée de savourer des baklawas sur le Bosphore. Et puis j’ai réfléchis. Si je n’y vais pas, je ne connaitrai jamais la ville qui a alimenté mes fantasmes de gosse. Dans Indiana Jones, Robin des Bois ou Dracula, il y a souvent un Turc et presque toujours Istanbul dans l’histoire. Byzance, Constantinople, ces noms-là ont forgé mon rêve d’une épopée orientale et mon envie d’ailleurs. Courage, fonçons: j’irai.

Trois noms pour une ville

Le voyage Aller m’a donné le temps nécessaire pour extirper des brumes de mon cerveau les fondamentaux historiques de mes années lycée. Istanbul c’est le nom turc de Constantinople. Celui que prend la Ville en 1923 au moment où Mustapha Kémal Atatürk (« Le père des Turcs ») proclame la république de Turquie. Fondée en 330 par l’Empereur romain Constantin, Byzance alias Constantinople est l’ancienne capitale de l’Empire Romain d’Orient. Équivalent oriental de la Rome Latine, elle a pour maitre un empereur, le basileus. Détenteur du glaive, le basileus est le garant de la chrétienté en Orient, le prolongement de Rome en Asie Mineure. La ville fut pendant des siècles le théâtre d’affrontements entre les chrétiens orthodoxes qui y étaient installés, les Croisés qui s’y aventurèrent pour tenter de s’en emparer ou de la défendre, et les nomades turcs venus des steppes d’Asie Centrale, proches des Mongols. Convertis à l’islam, ils dominèrent dès le Xème siècle une grande partie du Moyen-Orient. C’est finalement eux qui ont conquis la cité byzantine en 1453, galvanisés par les velléités d’expansion vers l’Ouest du Sultan Mehmed II. Nos livres d’histoire évoquent la « chute de Constantinople ». En réalité, la ville passe sous la coupe musulmane.

Cet épisode marque la fin de l’Empire byzantin et la consécration du sultanat ottoman comme grande puissance musulmane. La plupart des lieux saints chrétiens sont alors transformés en mosquées. C’est le cas de la basilique Sainte Sophie (Ayasofya en langue turque) sur laquelle plusieurs minarets sont érigés dans les années qui suivent la prise de Constantinople, puis sous Soliman le Magnifique (1520-1566). Le Palais de Topkapi, (Topkapi Sarayi), la Mosquée Bleue (Sultanahmet Camii) et beaucoup d’autres édifices somptueux se succèdent, titillant ma fierté parisienne. photo3-palais-de-topkapi photo4-mosque-bleue

Pourtant Istanbul n’est pas une ville musée qui serait réductible à son passé. Et dès les premiers jours j’ai lâché les quelques certitudes que j’avais sur ce point. C’est bien une histoire faite des tumultes de la modernité qui s’écrit aujourd’hui.

La ville aux deux visages

Il suffit de se rendre sur la place Taksim ou de déambuler dans les ruelles du quartier Beyoğlu pour s’en rendre compte : hôtels et bars branchés s’y côtoient, touristes, expats et étudiants s’y mélangent. Taksim c’est la place de la République stambouliote. C’est de là que sont partis les mouvements de 2013 contre la destruction du parc Gezi, dont le projet de bétonisation-piétonisation cher à Erdogan est toujours d’actualité. Là encore que se sont rassemblés les partisans de la démocratie après le tour de vis sécuritaire post coup d’état, en juillet dernier. photo5-tram-stambouliote-sur-la-place-taksim

De Taksim, si l’on descend vers le Pont Galata et la tour éponyme, immanquable du fait de ses 67 mètres de hauteur, les ruelles tortueuses qui amènent au Bosphore regorgent de petites boutiques indépendantes, à l’opposé des franchises de l’Istiklal Caddesi. De là, si on a de la chance, un sens du repérage aigu, et une affection sans limite pour la gastronomie locale on atteindra le nirvana en piquant directement sur la baklawaria Güllüoğlu. Au cœur de Karaköy, c’est la meilleure d’Istanbul, comparaison sur pièces et sur place à l’appui.

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Le long du Bosphore, le quartier Karaköy témoigne de cette culture urbaine cosmopolite propre aux grandes capitales. On y trouve des artistes, des designers, des créateurs et autant de boutiques arty et branchées qui rappellent celles de Jordan, à Amsterdam. Cette confusion des genres entre tradition et modernité est saisissante, au moins autant que le contraste entre la techno turque qui passe à fond dans les magasins de l’avenue Istiklal et les appels à la prière qui résonnent à heure fixe dans les hauts parleurs de la ville. photo7-quartier-karakoy

S’il est difficile d’éluder le contexte actuel lorsque l’on y séjourne –pour peu que l’on discute avec des Turcs, ils l’évoquent spontanément- Istanbul ne m’a pas laissé l’image d’une ville blessée. Tiraillée serait plus juste. Prise entre deux eaux. Celle de la modernité, qu’appellent de leurs vœux la jeunesse et les intellectuels, et une autre, plus sombre, dont le chant des sirènes traditionalistes rappelle la fin de l’Empire Ottoman, mort de n’avoir fait les réformes nécessaires quand elles s’imposaient. Les stambouliotes sont libres d’écrire leur histoire. Et si l’occasion se représente j’en serai le témoin : je reviendrai à Istanbul.

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